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vendredi 27 janvier 2006

Biens culturels et vocabulaire à l'heure de la loi DADVSI

Lors des débats actuels sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), chacun avance des arguments pour défendre son point de vue. Je ne veux pas analyser ici ces arguments, je souhaite plutôt relever un point qui est à la source d'un certain nombre d'incompréhensions : le vocabulaire utilisé. Chacune des parties s'exprime avec le vocabulaire de son domaine, ce qui paraît naturel. Mais la diversité des acteurs concernés semble avoir atteint un niveau qui ne leur permette pas de s'entendre pour l'instant. Nous allons voir comment cela nous mène à des problèmes plus complexes.

Achat ou location ?

Je voudrais prendre un exemple. On entend souvent parler de « la façon dont sont consommés les biens culturels ». Je trouve cette formule inappropriée. Car, je ne consomme pas les biens culturels que j'achète. Je peux dire : « Je consomme beaucoup de riz en ce moment, car on m'a offert un livre sur la cuisine thaïlandaise. » Mais je ne dirai pas : « Je consomme beaucoup de films d'Akira Kurosawa depuis que j'ai vu Les sept samuraïs. » Clairement, je n'achète pas un bien culturel pour le consommer. Je vais le consulter, le placer dans ma bibliothèque (réelle ou numérique), le reconsulter quelques années après, voyager avec, le prêter à des amis, le copier sur un autre support au cas où mon exemplaire serait endommagé (copie privée), etc. Je n'appelle pas cela consommer.

Si je ne faisais que consommer les biens culturels, je n'irais sûrement pas plus loin que leur consultation. Alors, une simple location me suffirait. Mais ce n'est pas le cas et je suis malheureusement contraint à des manipulations dont je me passerais bien. En effet, bien que je ne veuille pas pirater, je me retrouve en position de lutte face aux dispositifs techniques limitant la copie. Voici quelques exemples.

Si j'achète sur iTunes de la musique sous forme de fichiers (dont on ne peut faire que cinq copies), je m'empresse de la graver sur CD pour m'assurer que je pourrai toujours l'écouter dans 20 ans (j'aurai sûrement changé d'ordinateur plus de cinq fois d'ici là). Je le fais aussi pour pouvoir écouter cette musique sur des systèmes qui ne sont pas en mesure de lire les fichiers fournis par Apple (je tiens à l'interopérabilité au sein de ma bibliothèque numérique). Quand j'achète un film sur DVD alors que je suis par exemple aux USA, j'en fais une copie sans protection pour pouvoir le regarder sans difficulté sur les lecteurs de DVD vendus en France. Je copie aussi mes jeux vidéo et j'imprime les livres que j'achète sous forme de fichiers protégés contre la conversion dans des formats plus libres.

Donc, la gestion des droits numériques (DRM en anglais, Digital Rights Management) qui est au cœur du projet de loi DADVSI, pose déjà de nombreux problèmes. Cette gestion des droits peut être mise en place dans le but de contrôler des marchés (par exemple les zones pour les films en DVD) et pour nous empêcher de sortir du cadre légal. Mais il est regrettable de constater que dans les deux cas, cela nuit aux libertés des acheteurs.

Pourquoi la gestion des droits numériques ?

Le numérique induit de nouvelles possibilités. On peut le comparer en cela à d'autres bouleversements qui ont suscité de vives oppositions sur le thème du droit d'auteur : le magnétoscope, les radios libres, la photocopieuse, etc. Le questionnement récurrent étant : peut-on copier/diffuser un contenu et si oui, dans quelle mesure ?

La particularité du numérique par rapport au droit d'auteur est de permettre la copie à l'identique. Je peux copier un fichier de mon disque dur sur une clé USB pour le passer sur un autre ordinateur. Je peux ensuite le graver sur un CD et l'envoyer par e-mail. Tous les exemplaires de mon fichier seront identiques. Ce n'est pas le cas par exemple pour un support analogique comme une cassette audio : à chaque nouvelle copie, la qualité est moins bonne.

Par ailleurs, je peux réduire l'espace nécessaire au stockage de mon fichier grâce à la compression. Pour un morceau de musique par exemple, je peux diviser cet espace par deux sans perdre de qualité. Et si j'accepte une perte de qualité, je peux diviser cet espace par dix (typiquement avec une compression MP3). Ainsi, je peux stocker plus de contenu et le copier plus rapidement.

Quand on ajoute à cela le réseau Internet qui permet d'échanger ce contenu à l'échelle mondiale, on voit bien le problème que cela peut poser. Un internaute équipé d'un logiciel de partage de fichiers peut rapidement se constituer une bibliothèque de plusieurs milliers de chansons. Les fichiers circulent d'un poste à l'autre (P2P, Peer-to-Peer) et les auteurs ne sont pas rétribués.

Des alternatives légales sont proposées, c'est le téléchargement payant. Mais les fichiers vendus ne devant pas alimenter les réseaux P2P, ils sont protégés grâce à des mécanismes de gestion des droits numériques. Les acheteurs peuvent donc être confrontés aux désagréments évoqués plus haut.

Une discussion stérile ?

Si l'on me disait : « la généralisation de la protection des œuvres par des mécanismes de gestion des droits numériques va garantir les revenus de vos artistes préférés et donc leurs prochaines productions ». Je répondrais que je ne consomme pas la culture. Je pourrais préciser que les mécanismes auxquels je suis confronté aujourd'hui ne me permettent pas de jouir pleinement des biens culturels que j'achète.

Si l'on me dit : « vous subirez des sanctions si vous continuez à contourner ces mécanismes ». Je répondrais que je ne fais que réaliser des copies privées pour sauvegarde et que j'entretiens l'interopérabilité de ma bibliothèque numérique. Je dirais aussi mon inquiétude à propos des difficultés que soulève l'association entre les logiciels libres et la gestion des droits numériques.

Mais, serais-je compris ? Prendre la mesure des enjeux liés à ces débats semble nécessiter des compétences difficilement cumulables par une seule personne : informatique, droit, art, économie, sociologie, histoire, etc. Alors, comment discuter autrement ?

Vocabulaire, points de vues, vision

Je suis parti d'un point assez simple : les différents acteurs de ces débats n'utilisent pas le même vocabulaire. Mais l'on voit bien que cela n'est que le symptôme d'une incompréhension bien plus profonde. Il est clair que les parties en présence n'usent pas du même vocabulaire car leur point de vue est différent. Alors, ne faudrait-il pas que chacun commence par exposer quelles sont ses pratiques actuelles ? Nous pourrions prendre conscience des différences de points de vues et par la suite, élaborer une vision commune. Bientôt, presque tous les Français seront internautes. Un dialogue national est nécessaire.

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